samedi 28 avril 2018

Limites


                                                              




                                                                    Limites

  C'était un temps où les poules avaient des dents, un temps ancien et mystérieux, un temps où tout était signe.

            Dans une immense forêt vivaient hommes, femmes, enfants et toutes sortes d'animaux. Y vivaient aussi des êtres étranges, ceux dont on ne parlait pas, ceux qui n'avaient pas de nom… Cette forêt était pour tout le Monde. Les limites en étaient si lointaines que seuls certains initiés les connaissaient, et ils étaient encore moins nombreux ceux qui les avaient franchies.
            C'était un monde d'arbres, certains étaient très anciens, certains mouraient et leur disparition était chantée car leur immense corps servait à tous, d'autres naissaient, seuls quelques chemins et clairières étaient dégagés par les hommes et les animaux.
            Au cours des ans deux peuples s'étaient formés, celui d'en bas qui vivait au niveau du sol le plus souvent dans des habitations creusées dans les énormes troncs et celui d'en haut habitant la canopée des arbres dans des abris utilisant branches et feuilles.
Les chemins étaient utilisés par tous, des passerelles permettaient à ceux d'en haut de se déplacer.

             Les oiseaux étaient omniprésents et leurs vocalises et roucoulements accompagnaient les chants des hommes. Des religions avaient cours dans toute la Forêt, toutes étaient acceptées, toutes étaient tolérées et les conflits étaient mineurs.

            Dans le monde d'en-haut vivait une toute jeune fille, vive et espiègle elle avait de longs cheveux brun piqués de plumes et de fleurs. Elle aimait chanter, danser, grimper, elle aidait sa mère dans les tâches quotidiennes, elle aimait aussi rêver et elle restait de longs moments au sommet de son arbre préféré, un chêne immense qui se dorait à l'automne. Tacitement tout le monde respectait ses retraites et elle était parfois solitaire.

            A sa naissance sa mère avait tout de suite vu qu'elle était différente, ses yeux noir grand-ouverts l'avaient fixée intensément, sa peau laiteuse et lisse était marquée à la base de la colonne vertébrale par une tache bleue. Elle s'inquiéta, questionna les anciens et ceux que l'on nommait les Sages. Les réponses furent vagues et poétiques, mais une très vielle dame prédit à l'enfant un destin hors du commun « Elle nous sauvera tous ! »

           L'enfant grandit en force et en beauté, sa tâche ne la préoccupait pas, jusqu'au jour où la Maladie arriva. Elle touchait aussi bien ceux d'en haut que ceux d'en bas, seuls les animaux semblaient épargnés et l'on ne savait rien des créatures obscures. Les personnes tombaient dans une profonde léthargie et au bout d'un temps parfois très long mouraient. Tous les remèdes connus furent essayés et on en confectionna d'autres, on fit appel à tous ceux qui savaient et même à ceux qui ne savaient pas, aux puissants comme aux plus humbles… rien n'y faisait et la Forêt devint silencieuse.

            La jeune fille se mit à souffrir dès le début de l’épidémie au bas de son dos, sa tache lui brûlait, elle ne pouvait plus dormir et l'inquiétude pour son peuple l'envahit totalement, se mêlant à cette souffrance.
Une nuit une force étrange la poussa à descendre la longue échelle qui conduisait au sol et à suivre un des chemins qui menait à la grande clairière où se déroulaient fêtes et cultes. Dans ce lieu baigné de lumière elle ne reconnaissait rien et soudain elle fut entourée par des êtres étranges, certains pauvrement mis, d'autre richement vêtus. Mais leurs allures avaient quelque chose de bizarre, leurs mains n'étaient pas toujours des mains et tous leurs visages étaient dans l'ombre.

            Le plus grand se rapprocha d'elle : « Veux-tu aider ton peuple ? Veux-tu aller chercher le médicament salvateur ? » Elle répondit « Oui » que pouvait-elle dire d'autre, Elle se sentait comme dans une transe, comme dans une réalité « autre », comme quand elle mâchait avec ses amis les baies rouges au pouvoir hallucinogène.
« Alors écoute. Tu vas devoir sortir de la Forêt, tu vas devoir franchie la limite, quitter ton monde. Tu rencontreras un homme que tu séduiras et qui te donnera la formule du remède. Tu ne pars pas seule, celui-ci va te guider, tu possèdes le Signe, et nous te respectons. »
Tous disparurent et ne resta avec elle qu'un petit personnage au visage rond, au corps rond, au visage découvert, au regard intelligent et moqueur… Et c'est ainsi qu'ils partirent, la belle jeune fille et celui qu'elle nomma Bouboule pour elle-même.

            Le voyage fut long et les épreuves nombreuses. Il y eut le torrent glacé, tumultueux qu'ils franchirent en lançant un pont de branches et de lianes, il y eut une barrière infranchissable de ronces et d'arbustes couverts de longues aiguilles acérées. Ils s'assirent et « Bouboule » lui apprit à utiliser la force de son esprit pour ouvrir un étroit passage…
Elle eut froid et faim, elle eut chaud et soif, ses pieds saignèrent, ses mains, ses bras, ses jambes se couvrirent de plaies, elle voulut renoncer mais toujours une voix en elle l'encourageait et « Bouboule » était toujours là prévenant, calme et de bonne humeur, il ne semblait souffrir de rien...Ils dormaient quand venait la nuit et marchaient avec l'aurore et enfin la « limite » fut là, la fin de la forêt, la fin de son monde… Ce n'était même pas spectaculaire, c'était la fin, tout simplement… Bouboule disparut, elle se retrouva seule, elle sortit de la forêt, elle se sentait forte, elle se sentait belle, elle avait changé, elle se sentait femme.

            Tout se déroula comme les êtres obscurs l'avaient prédit, après une douce marche dans d'immenses prairies elle rencontra des hommes qui l'entourèrent et la conduisirent dans leur village auprès de leur maître. Seul un très vieil homme connaissait sa langue et servit d’intermédiaire. Tous étaient fascinés par sa beauté et par la force qui se dégageait d'elle, ils la respectèrent, les femmes s'occupèrent d'elle, elle but mangea et dormit longtemps. A son éveil un jeune homme était près d'elle, beau et rieur, il l'aida à se lever et l'interrogea toujours pars l'intermédiaire du vieillard. Il ne pouvait comprendre qu'elle soit venue de si loin pour trouver un médicament si connu chez lui, mais il l'écoutait, il la regardait, sa voix était comme un chant d'oiseau, et plus le temps passait, plus  il tombait amoureux d'elle. ..Ils s’aimèrent simplement et passionnément, il lui donna la formule du remède, il lui offrit sa main et son royaume car il l'aimait et ne voulait pas qu'elle reparte.  Mais une nuit elle l'endormit avec ses chants et partit sans se retourner.


            Elle rentra dans la forêt, un chemin s'ouvrait à elle et se refermait derrière elle, elle arriva chez elle et peu à peu la forêt se remit à chanter, elle pleura les morts et soigna ceux qui étaient atteints du mal mystérieux. Elle retrouva son chêne et sa sérénité, ses chants, ses amis. Au bas de son dos la tache bleue avait disparu.

            Parfois la nuit, sur son lit de plumes elle cherche le corps de l'homme qu'elle séduisit et qu'elle aimât peut-être.                                                                                               
                                                                                                                                  Simone.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire