Limites
Dans une immense forêt vivaient hommes, femmes, enfants et
toutes sortes d'animaux. Y vivaient aussi des êtres étranges, ceux dont on ne
parlait pas, ceux qui n'avaient pas de nom… Cette forêt était pour tout le
Monde. Les limites en étaient si lointaines que seuls certains initiés les connaissaient,
et ils étaient encore moins nombreux ceux qui les avaient franchies.
C'était un
monde d'arbres, certains étaient très anciens, certains mouraient et leur
disparition était chantée car leur immense corps servait à tous, d'autres
naissaient, seuls quelques chemins et clairières étaient dégagés par les hommes
et les animaux.
Au cours des
ans deux peuples s'étaient formés, celui d'en bas qui vivait au niveau du sol
le plus souvent dans des habitations creusées dans les énormes troncs et celui
d'en haut habitant la canopée des arbres dans des abris utilisant branches et
feuilles.
Les chemins étaient utilisés par tous, des passerelles
permettaient à ceux d'en haut de se déplacer.
Les oiseaux étaient omniprésents et leurs
vocalises et roucoulements accompagnaient les chants des hommes. Des religions
avaient cours dans toute la Forêt, toutes étaient acceptées, toutes étaient
tolérées et les conflits étaient mineurs.
Dans le
monde d'en-haut vivait une toute jeune fille, vive et espiègle elle avait de
longs cheveux brun piqués de plumes et de fleurs. Elle aimait chanter, danser,
grimper, elle aidait sa mère dans les tâches quotidiennes, elle aimait aussi
rêver et elle restait de longs moments au sommet de son arbre préféré, un chêne
immense qui se dorait à l'automne. Tacitement tout le monde respectait ses
retraites et elle était parfois solitaire.
A sa
naissance sa mère avait tout de suite vu qu'elle était différente, ses yeux
noir grand-ouverts l'avaient fixée intensément, sa peau laiteuse et lisse était
marquée à la base de la colonne vertébrale par une tache bleue. Elle
s'inquiéta, questionna les anciens et ceux que l'on nommait les Sages. Les
réponses furent vagues et poétiques, mais une très vielle dame prédit à
l'enfant un destin hors du commun « Elle nous sauvera tous ! »
L'enfant grandit en force et en beauté, sa tâche ne la
préoccupait pas, jusqu'au jour où la Maladie arriva. Elle touchait aussi bien
ceux d'en haut que ceux d'en bas, seuls les animaux semblaient épargnés et l'on
ne savait rien des créatures obscures. Les personnes tombaient dans une
profonde léthargie et au bout d'un temps parfois très long mouraient. Tous les
remèdes connus furent essayés et on en confectionna d'autres, on fit appel à
tous ceux qui savaient et même à ceux qui ne savaient pas, aux puissants comme
aux plus humbles… rien n'y faisait et la Forêt devint silencieuse.
La jeune
fille se mit à souffrir dès le début de l’épidémie au bas de son dos, sa tache
lui brûlait, elle ne pouvait plus dormir et l'inquiétude pour son peuple
l'envahit totalement, se mêlant à cette souffrance.
Une nuit une force étrange la poussa à descendre la longue
échelle qui conduisait au sol et à suivre un des chemins qui menait à la grande
clairière où se déroulaient fêtes et cultes. Dans ce lieu baigné de lumière
elle ne reconnaissait rien et soudain elle fut entourée par des êtres étranges,
certains pauvrement mis, d'autre richement vêtus. Mais leurs allures avaient
quelque chose de bizarre, leurs mains n'étaient pas toujours des mains et tous
leurs visages étaient dans l'ombre.
« Alors écoute. Tu vas devoir sortir de la Forêt, tu vas
devoir franchie la limite, quitter ton monde. Tu rencontreras un homme que tu
séduiras et qui te donnera la formule du remède. Tu ne pars pas seule, celui-ci
va te guider, tu possèdes le Signe, et nous te respectons. »
Tous disparurent et ne resta avec elle qu'un petit personnage
au visage rond, au corps rond, au visage découvert, au regard intelligent et
moqueur… Et c'est ainsi qu'ils partirent, la belle jeune fille et celui qu'elle
nomma Bouboule pour elle-même.
Le voyage
fut long et les épreuves nombreuses. Il y eut le torrent glacé, tumultueux
qu'ils franchirent en lançant un pont de branches et de lianes, il y eut une
barrière infranchissable de ronces et d'arbustes couverts de longues aiguilles
acérées. Ils s'assirent et « Bouboule » lui apprit à utiliser la
force de son esprit pour ouvrir un étroit passage…
Elle eut froid et faim, elle eut chaud et soif, ses pieds
saignèrent, ses mains, ses bras, ses jambes se couvrirent de plaies, elle
voulut renoncer mais toujours une voix en elle l'encourageait et
« Bouboule » était toujours là prévenant, calme et de bonne humeur,
il ne semblait souffrir de rien...Ils dormaient quand venait la nuit et
marchaient avec l'aurore et enfin la « limite » fut là, la fin de la
forêt, la fin de son monde… Ce n'était même pas spectaculaire, c'était la fin,
tout simplement… Bouboule disparut, elle se retrouva seule, elle sortit de la
forêt, elle se sentait forte, elle se sentait belle, elle avait changé, elle se
sentait femme.
Tout se
déroula comme les êtres obscurs l'avaient prédit, après une douce marche dans
d'immenses prairies elle rencontra des hommes qui l'entourèrent et la
conduisirent dans leur village auprès de leur maître. Seul un très vieil homme
connaissait sa langue et servit d’intermédiaire. Tous étaient fascinés par sa
beauté et par la force qui se dégageait d'elle, ils la respectèrent, les femmes
s'occupèrent d'elle, elle but mangea et dormit longtemps. A son éveil un jeune
homme était près d'elle, beau et rieur, il l'aida à se lever et l'interrogea
toujours pars l'intermédiaire du vieillard. Il ne pouvait comprendre qu'elle
soit venue de si loin pour trouver un médicament si connu chez lui, mais il
l'écoutait, il la regardait, sa voix était comme un chant d'oiseau, et plus le
temps passait, plus il tombait amoureux
d'elle. ..Ils s’aimèrent simplement et passionnément, il lui donna la formule
du remède, il lui offrit sa main et son royaume car il l'aimait et ne voulait
pas qu'elle reparte. Mais une nuit elle
l'endormit avec ses chants et partit sans se retourner.
Elle rentra
dans la forêt, un chemin s'ouvrait à elle et se refermait derrière elle, elle
arriva chez elle et peu à peu la forêt se remit à chanter, elle pleura les
morts et soigna ceux qui étaient atteints du mal mystérieux. Elle retrouva son
chêne et sa sérénité, ses chants, ses amis. Au bas de son dos la tache bleue
avait disparu.
Parfois la
nuit, sur son lit de plumes elle cherche le corps de l'homme qu'elle séduisit
et qu'elle aimât peut-être.
Simone.
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