L’angélus sonnait aux Matelles ; la
frêle Sophie se pendait à la corde de la cloche au risque d’être emportée dans
son élan. A la même heure, sa
petite-fille, ma mère, se levait et se préparait pour aller à l’école. Elle
vivait, avec sa grand-mère, dans une petite maison obscure au cœur du vieux
village : une cuisine et une chambre, froides et sans confort.
Sophie , native de Lozère et
analphabète, répétait tous les jours qu’il fallait bien travailler en classe,
racontait son enfance, son travail très jeune dans une auberge, le mariage
arrangé par son père sur un marché avec un aveyronnais qu’elle n’avait jamais
vu et qu’elle avait suivi dès la noce finie.Elle avait eu dix enfants, avait travaillé toute sa vie et, maintenant, âgée, elle sonnait les cloches de l’église et lavait le linge des riches familles.
Tandis que l’eau, tirée du puits communal et montée du bas du village dans de lourdes cruches, chauffait dans le chaudron de la cheminée, sur la terrasse au dessus du porche elle s’activait et remplissait un cuvier : une couche de linge supportant une température assez élevée, une couche de cendres, une couche de linge, une couche de cendres… Pour finir, elle vidait, avec une vieille casserole, l’eau bouillante du chaudron dans le cuvier. L’eau crasseuse s’échappait alors par un trou façonné comme une bouche ouverte et allait se tortiller dans la rigole la plus proche. Elle renouvelait l’opération plusieurs fois pour éclaircir l’eau au maximum.
Son employeur du moment affrétait un matin suivant, de préférence ensoleillé, une charrette pour la conduire à la source du Lez où elle frottait énergiquement tout le linge, de diverses textures, le rinçait avant de l’étendre sur l’herbe ou quelque buisson sans épines pour le séchage. Elle retrouvait d’autres lavandières d’ici et là avec qui elle partageait un moment de vie sociale. Le soir les charrettes revenues les chercher avec leurs cochers, se chargeaient d’immenses corbeilles de linge propre embaumant la garrigue.
Quand Sophie lavait le linge de l’instituteur ma mère, étant ce jour là dispensée d’école, se joignait à la journée de la source du Lez, ce qui représentait une fête pour elle.
Aujourd’hui le cuvier, installé dans mon jardin et redécoré, veille sur les plantes que je fais croitre en son sein avec amour.
Maison de Sophie
par Josy
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